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Séjour de Norbert LEY à Yang Chow-C ...

COMPAGNIE CHARLES LEY S.A.

PEKIN — TIENTSIN — MANDCHOURIE — BRUXELLES

Bruxelles, le 25 octobre 1945
Place de l'Industrie, 25

Cher Monsieur Pander,

Voici la nouvelle lettre de Norbert. Il l'a confiée à un ami sûr, qui partait isolément et à ses risques vers Shanghaï. Il semble qu'il a réussi, car la lettre est arrivée à Kung Ming (anciennement Yunnanfow), capitale du Yunnan d'où elle est timbrée par la poste chinoise, le 10 octobre pour arriver ici le 22 ce qui est un record. L'équipée de Norbert semble confirmée par des nouvelles du Nord, de fin septembre qui disaient que les étrangers de Wei Hsien étaient toujours au camp.

Les combats dans le Shantung confirment cela et font un tableau très peu rassurant, idem dans le Nord de la Chine. Les Chinois sont incapables d'assurer l'ordre où que ce soit!

Je voudrais bien ravoir la lettre (copie) de Norbert le plus tôt possible. Mr Ramelot me dit qu'on télégraphie à Shaï librement et directement de Bruxelles.

Bien amicalement à vous,

(signé): Charles Ley.

COMPAGNIE CHARLES LEY S.A.
PEKING - TIENTSIN – Manchuria - BRUSSELS
Brussels, 25 October 1945
Place de l'Industrie, 25

Dear Mr. Pander,

Here is Norbert's new letter. He entrusted it to a reliable friend, who was leaving in isolation and at his risk towards Shanghai. It seems that he succeeded, because the letter arrived in Kung Ming (formerly Yunnanfow), capital of Yunnan from where it is stamped by the Chinese post, on October 10 to arrive here on the 22 which is a record. Norbert's team seems to be confirmed by news from the North in late September that the foreigners from Weihsien were still at the camp.

The fighting in Shantung confirms this and paints a very uncomfortable picture, ditto in the North of China. The Chinese are unable to ensure order anywhere!

I would like to receive [in return] Norbert's letter (copy) as soon as possible. Mr. Ramelot tells me that we are wired to S'hai freely and directly from Brussels.

Best regards,
(signed):

Charles Ley.

COPIE.

Mardi, 25 septembre 1945.

Ma première lettre libre (8 crt) vous a décrit notre situation générale au camp, à la fin de cette guerre. Rien n'ayant changé depuis et notre départ n'étant pas prévu avant mi-octobre, époque à laquelle le Yang Tsé sera nettoyé de mines, je résumerai nos petites infortunes depuis notre arrivée ici. De mi-novembre à fin décembre, agréable fin d'automne. Après, contre les froids rigoureux de l'hiver, rien que nos vêtements le jour et nos couvertures la nuit; engelures et petits rhumes, aucun cas dans notre communauté de grande maladie de froid, pneumonie, etc. Les 40 belges sont concentrés dans un hall-dortoir, bâtiment rez-de-chaussée sans étage, plancher en ciment, séparations en murs d'une brique hauts de 2m20, point de plafond, mais une toiture sur les poutres de laquelle courent les rats dans une poussière tombant en flocons. Pour éviter les pieds gelés sur le ciment, fines nattes indigènes, surtout accumulatrices de poussière. Point de double fenêtre, pas plus que de chauffage.

De janvier à mars, les Japs fournirent 5 seaux de charbon quotidiens pour 5 petits poêles installés çà et là en notre grange - car ce n'est pas autre chose. Le seul avantage fut un peu de cuisine privée, sinon aucun effet sur l'ensemble du volume de l'habitat, et nous en restions au point des miséreux cherchant refuge en la chaleur de leur lit, même le jour! Complétons le tableau en rappelant les légions de rats, rongeant tout comestible mal protégé, évoluant partout assez bruyamment pour couper le sommeil au meilleur dormeur.

Eclairage: diurne: une 1/2 fenêtre donne un peu de lumière coupée par des branches d'arbres.

La nuit, Jusqu'à 22 h, une lampe de 20 w au plus, et encore sous-voltée (lumière orange) nous éclaire de 4,50 m de haut et d'autant en distance du centre de notre cagibi; il y a 5 de ces lampes, suspendues de même,, pour les 40 internes de la baraque. Nous devons donc user de bougie dès qu’il fait sombre et avons étripé notre provision quand le courant manqua faute de charbon à la centrale, de fin-janvier à début-mai. Nous nous sommes aussi éclairés de lampes à huile. Aucune lecture possible. Le printemps revenu, les journées s'allongeant et les insectes n'imposant pas encore de protection, nous avons vécu - dehors surtout - notre meilleur (ou moins mauvais) temps du camp.

Dès le début Juin, la chaleur quoique modérée cet été, fut souvent accablante, surtout la nuit, sous moustiquaire. Cet accessoire est indispensable aux non-bénéficiaires d'une chambre, les moustiques évoluant par myriades, un peu moins le jour que la nuit, et pouvant donner la malaria. Leur quantité tient à ce que notre bâtisse n'est pas seulement un habitat mais aussi partiellement un lieu de lavage avec éviers, égouts... Et ne parlons pas du bruit des gens venant se laver! Les conditions sanitaires: les "toilettes" sont situées hors des habitats, fort heureusement et se bornent à des isoloirs avec bacs à m... ou tinettes en bois vidées quotidiennement par des vidangeuses indigènes.

Quant à l'eau, ce fut un problème l'hiver, les puits étant tous très bas. Que d'astuces et d'attentes pour accumuler le précieux liquide! Car toute eau doit être pompée ou puisée aux puits et, après apport au "logis", emploi, emportée à nouveau puis vidée dans un égout au dehors. Les allées et venues et pertes de temps ne s'évaluent pas. Très heureusement, l'eau vient à profusion depuis l'été, les puits en regorgent.

Amélioration de la tambouille depuis la fin de la guerre. Avant ça, tout au long de l’hiver, nous fûmes nourris d'une bouillie de patates, carottes et porc tous les jours sauf mardi et vendredi; à midi ragougnasse telle quelle, le soir accompagnée d'un riz de 3ème catégorie avec cailloux, sable, etc. Vous prévoyez le fréquent manque de quantité et pour les amateurs de viande, seulement le goût du jus. Avec le printemps, les oignons frais changèrent la ...

COPY.

Tuesday, September 25, 1945.

My first free letter (8th of this month) described our general situation in the camp at the end of this war. Nothing has changed since and our departure was not planned before mid-October, when the Yangtze will be cleaned of mines, I will summarise our small misfortunes since our arrival here.

From mid-November to the end of December, we have had a pleasant end of autumn. Afterwards, against the harsh cold of winter, only our clothes during the day and our blankets at night; frostbite and small colds, no case in our community of severe cold disease, pneumonia, etc. The 40 Belgians are concentrated in a dormitory hall, ground-floor building with no floors, cement floor, partitions in brick walls 2m20 high, no ceiling, but a roof on the beams of which the rats run in a dust falling into flakes. To avoid frozen feet on the cement, fine native mats, especially accumulators of dust. No double window, no more heating. From January to March, the Japs supplied 5 buckets of charcoal daily for 5 small stoves installed here and there in our barn - because there is nothing else. The only advantage was a little private cooking, if not any effect on the whole volume of the habitat, and we stayed at the point of the destitute seeking refuge in the warmth of our beds, even during the day! Let us complete the picture by recalling the legions of rats, gnawing on any poorly protected edible, moving everywhere noisily enough to cut off sleep for the best sleeper.

Lighting: daytime: a 1/2 window gives a little light cut by tree branches. At night, until 10 p.m., a lamp of 20 w at most, and still under-volt (orange light) illuminates us 4.50 m high and all the more in distance from the centre of our cubbyhole; there are 5 of these lamps, similarly suspended, for the 40 internees of the barrack. We must therefore use a candle as soon as it is dark and has gutted our supply when the power fails for lack of coal at the plant, from the end of January to the beginning of May. We also lit up with oil lamps. No reading possible. Spring returned, the days getting longer and the insects not yet imposing protection, we lived - especially outside - our best (or less bad) time in camp. From the beginning of June, the heat, although moderate this summer, was often oppressive, especially at night, under mosquito nets. This accessory is essential for non-beneficiaries of a room, mosquitoes evolving in myriads, a little less during the day than at night, and can give malaria. Their quantity is due to the fact that our building is not only a habitat but also partially a place of washing with sinks, sewers ... And not to mention the noise of people coming to wash! The sanitary conditions: the "toilets" are located outside the habitats, fortunately and are limited to voting booths with bins or wooden ... emptied daily ... emptied by native coolies.

As for water, this was a problem in winter, the wells being all very low. What tricks and expectations to accumulate the precious liquid! Because all water must be pumped or drawn from the wells and, after bringing to the "home", employment, carried away again then emptied in a sewer outside. The comings and goings and wastes of time are not evaluated. Fortunately, water has come in abundance since the summer, the wells are full.

Improvement of the drums since the end of the war.

Before that, throughout the winter, we were fed on potato, carrot and pork porridge every day except Tuesday and Friday; at midday stews as is, in the evening accompanied by 3rd category rice with pebbles, sand, etc. You foresee the frequent lack of quantity and for meat lovers, only the taste of the juice. With spring, the fresh onions ...


... diète; les patates et carottes disparurent pour être remplacées par des variantes de melons et citrouilles indigènes insipides. Enfin, nous recevons 3/4 lb pain par jour et par tête, insuffisant en hiver. Farine quelconque, souvent inférieure, pas de levure mais de la soude et pourtant, tout compte fait, pain moins mauvais que les produits des derniers temps à Shangai [sic] et Tientsin, première raison pour laquelle tant de gens faisaient eux-mêmes leur pain.

Quoique saine parce qu’au grand air, la vie de camp ne laisse pas de donner lieu à un tas de petits ennuis nous ayant rendus clients assez réguliers de la clinique du camp. Peut-être est-ce dû à la nourriture, peut-être au climat, mais les moindres petites blessures deviennent purulentes et très difficiles à cicatriser. Ne pas oublier les mouches sur les plaies, et ce que cela implique.

La mesquinerie jap battit son plein durant toute la vie du camp, mais particulièrement l’hiver dernier, contribuant a rendre beaucoup de gens misérables, nous (belges) moins que les autres car nouveaux et encore pleins de provisions. En effet, les transports avaient beau être difficiles, il a été prouvé qu'il pouvait nous être donné des facilités d’achat a la cantine, non moins que des livraisons régulières de paquets(pour prisonniers et internés). La mauvaise volonté moricaude ignorait à peu près la cantine et faisait traîner les paquets mensuels, ne les livrant que par lots, endommagés, avec 3 mois de retard environ, souvent pillés en partie et les denrées périssables pourries.

Evidemment, ces petites misères sont d’un ordre secondaire comparées à celles d’autres internés civils et prisonniers et, plus encore souvent à ce qu'endurèrent ceux des régions bombardées d’Europe. C'est en les évoquant que nous supportons plus philosophiquement notre épreuve présente.

Concluons cet énuméré d'allure complainte en soulignant combien nos congénères et particulièrement certains compatriotes sont cause de l'exaspération quasi latente où nous vivons. Les bavards-gueulards les mères bruyantes incapables de fermer le clapet à leur marmaille hurlante, sont les principaux artisans de la “guerre des nerfs“ à laquelle nous sommes soumis a la lettre tous les jours depuis notre internement, il en est peu - sinon point - que nous souhaitions fréquenter une fois revenus a la vie civile normale. Nous ne sommes toujours pas certains de la route par laquelle nous reviendrons a Tientsin. On prévoit la voie fluviale maritime via Shangai et la côte. Mais il se pourrait fort bien que d'ici mi-octobre, époque prévue pour notre évacuation en masse de ce camp, le chemin de fer soit assez rétabli et sur pour que nous puissions rentrer comme venus, par bateau jusqu'à Pukow et puis par train. La radio vous aura peut-être appris que le “gouvernement“ de Chungking, incapable d'assurer l'ordre et la discipline dans les villes et le long des voies ferrées, a fait un urgent appel aux troupes américaines. Celles-ci se déversent par les ports de l'intérieur, pour assurer la police, réorganiser les services en commun et non moins, désarmer et rembarquer les japs, tâche au-dessus des chinois, très délicate en Chine où la populace aurait tôt fait de se livrer à une grande boucherie, une fois les japs sans armes. Cela contribuerait sans doute à soulager du poids de l'excès de population au Japon, mais comme ça créerait du désordre, la solution doit être écartée. L’eugénisme fera mieux.

Certains internés d’ici, ayant un travail ou un commerce à Shangai, et même quelques Belges en ayant par-dessus la tête du camp, sont partis a leurs frais et sous leur entière responsabilité par train de Chinkiang a Shangai il y a peu de jours. Trajet détestable, les trains étant bondés de soldats indigènes, de civils et aussi de japs. On voyage sur marchepieds, barres d'attelage, sur le toit même. Et l’on n'entre pas nécessairement par la porte; une ...

... changed the diet; potatoes and carrot disappeared to be replaced by variants of tasteless native melons and pumpkins. Finally, we receive 3/4 lbs. bread per day per head, insufficient in winter. Any flour, often less, no yeast but soda and yet, all things considered, bread not as bad as the products of recent times in Shanghai [sic] and Tientsin, first reason why so many people made their own bread.

Although healthy because in the open air, camp life does not stop giving rise to a lot of small troubles which made us fairly regular customers of the camp clinic. Perhaps it is due to food, perhaps to the climate, but the smallest wounds become festering and very difficult to heal. Do not forget the flies on the sores, and what it involves.

Japanese pettiness was in full swing throughout the life of the camp, but especially last winter, helping to make many people miserable, us (Belgians) less than the others because of new and still full of provisions. Transport was indeed difficult, it has been proven that we can be given purchasing facilities in the canteen, no less than regular deliveries of packages (for prisoners and internees). The ill will moricaude pretty much ignored the canteen and dragged the monthly packages, delivering them only in batches, damaged, about 3 months late, often looted in part and perishable food rotten.

Obviously, these little miseries are of a secondary order compared to those of other civilian internees and prisoners and, even more often than what those of the bombed regions of Europe endured. It is by evoking them that we support our present test more philosophically.

Let us conclude this enumerated list of laments by emphasising how much our fellows and particularly certain compatriots are the cause of the almost latent exasperation in which we live. The talkative shout the noisy mothers unable to close the flap to their screaming brats are the main architects of the “war of nerves” to which we are subjected to the letter every day since our internment, there are few - if not any - that we wanted to frequent once we returned to normal civilian life.

We are still not sure by which route we will return to Tientsin. The maritime waterway is planned via Shanghai and the coast. But it could very well be that by mid-October, the time scheduled for our mass evacuation from this camp, the railroad is sufficiently restored and on so that we can return as come, by boat to Pukow and then by train. You may have heard from radio that the Chungking “government”, unable to maintain order and discipline in cities and along the railways, has made an urgent appeal to American troops. These are poured through the ports of the interior, to ensure the police, reorganise the common services and not less, disarm and re-embark the Japs, task above the Chinese, very delicate in China where the populace would have done early to engage in a large butchery, once the Japs unarmed. This would undoubtedly help relieve the weight of the excess population in Japan, but as it would create disorder, the solution must be discarded. Eugenics will do better.

Some internees from here, having a job or a trade, in Shanghai, and even some Belgians having over the head of the camp, left at their expense and under their entire responsibility by train from Chinkiang to Shanghai there are few days. Detestable journey, the trains being crowded with indigenous soldiers, civilians and also Japs. We travel on running boards, drawbars, on the roof itself. And you don't necessarily enter through the door; ...


... fois le convoi bondé, les fenêtres sont les seules issues disponibles. C’est pourquoi sans trop de hâte, nous préférons attendre la fin normale et un retour moins infernal. D'autant plus que rien ne nous attire à Shangai et que, si nous devons y faire escale, nous serons très serrés dans un grand immeuble à appartements, réservé pour la circonstance. Nous savons ce que nous avons mais nous ignorons ce qui pourrait nous attendre une fois ‘‘libres“ là-bas.

Au camp même, le temps se passe entre les empaquetages et les corvées de subsistance. On n’a pas jugé utile de reprendre les cours et les gosses ont du bon temps a revendre. Le résultat immanquable pour beaucoup, sera un retard d'au moins un an dans les études, déjà pas surmenantes en Extrême-Orient!

Cette lettre profitera d'un départ demain matin tôt, à l’un des partants: une telle lettre, postée a Shangai après-demain et voyageant, nous dit-on, franco et avec les courriers militaires, c-à-d par avion - privilège d'internés et prisonniers - aurait des chances de vous atteindre en 2 ou 3 semaines.

Nos souhaits de nous revoir tous dans un avenir rapproché. Qui sait si un transsibérien retapé ne sera pas la première voie d'accès (Extraits) signé: Norbert Ley

(Timbrée par la poste chinoise de Kung Ming (anciennement Yunnanfou) capitale du Yunnan, le 10 octobre; arrivée à Bruxelles le 22).

... once the convoy is crowded, windows are the only available exits. This is why without too much haste, we prefer to wait for the normal end and a less hellish return. Especially since nothing attracts us to Shanghai and that, if we have to stop there, we will be very tight in a large apartment building, reserved for the occasion. We know what we have but we don't know what could be waiting for us when we are free.

At the camp itself, time passes between the packaging and the subsistence chores. We didn't think it was useful to go back to school and the kids had a good time. The inevitable result for many will be a delay of at least a year in studies, already not overworked in the Far East!

This letter will take advantage of an early departure tomorrow morning, to one of the starters: such a letter, posted in Shanghai the day after tomorrow and travelling, we are told, free and with military couriers, i.e. by plane - privilege of internees and prisoners - would be likely to reach you in 2 or 3 weeks.

Our wishes to see us all again in the near future. Who knows if a retyped Trans-Siberian will not be the first access route?

(Extracts) signed: Norbert Ley

(Stamped by the Chinese post office of Kung Ming (formerly Yunnanfou) capital of Yunnan, October 10; arrived in Brussels on the 22).