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Post Mortem texts from Emmanuel Hanquet's computer ...

La Fraternité du Buisson, où habitait le Père Hanquet à Louvain-La-Neuve en Belgique, eut l'opportunité d'installer un ordinateur et une imprimante dans son appartement. Tout ceci grâce à la gentillesse et la compétence de Monsieur P-E Lagasse. Bien que débutant en matière d'informatique, le Père Hanquet était bon élève et était parfaitement au courant de toutes les opportunités que pouvaient offrir l'informatique et le monde du multimédia. Je lui ai installé l'entièreté du site "Weihsien-Paintings" qu'il n'hésita pas à consulter de temps à autre. Ne voulant pas bruler les étapes, il n'a jamais voulu se connecter au réseau Internet, mais s'attela à écrire ses mémoires de Chine ... parmi bien d'autres travaux.


Après son décès, P-E Lagasse nous a fait suivre quelques textes ayant un rapport avec la Chine ---

- Les Samistes au camp de Weihsien, 1942 - 1945 [click here]
- Raymond de Jaegher
- Albert Palmers
- Hanolien - 1939 ---
- Hongdong et Hanolien ---


Les Samistes au camp de Weihsien. 1943-1945.

du PC d'Emmanuel Hanquet, écrit vers les mois de mai - juin 2007,

À la mi-mars [1943], les samistes furent visités par les gendarmes japonais pour leur annoncer qu’ils allaient être regroupés dans un endroit au nord de la Chine.

Pour ma part je fus cueilli un matin par 2 gendarmes japonais qui m’accompagnèrent jusque Taiyuan. Là ils me laissèrent dans un hôtel japonais où il y avait un tapage provoqué par des voix étrangères. De ma petite chambrette je finis par comprendre quelques bouts de phrases et surtout des chansons flamandes qui me firent comprendre qu’il s’agissait d’un contingent de Pères de Scheut, belges comme moi et travaillant à Tatung dans le nord du Shanxi .

Le lendemain on nous embarqua sur un train qui mit deux jours pour rejoindre Péking .Là je retrouvai les Samistes travaillant à Suanhua, Paul Gilson, Michel Keymolen et Nicolas Wenders. En passant à Paoting, nous avions cueilli Raymond de Jaegher et Herman Unden, mais c’est seulement à Péking que nous nous sommes regroupés. En effet en gare de Péking il fallut embarquer un contingent important d’Américains et de British ; après quoi, à petite vitesse nous prîmes le chemin de Weihsien, où des camions nous attendaient pour nous conduire au camp.

À l’arrivée c’était la pagaille, sauf pour ceux qui connaissaient quelqu’un parmi ceux qui étaient arrivés plus tôt. Il fallait tout organiser, à la manière d’un nouveau village. Décider qui serait responsable parmi les civils et les sous-responsables pour les différents services de la vie du camp. Les Japonais nous laissaient libres de l’organisation interne du camp. Il fallait donc, au début surtout, désigner d’une manière arbitraire, qui serait en charge des services suivants : logement, discipline, cuisines, hygiène, santé, études – il y avait dès l’arrivée près de 300 enfants dans le camp -. Il fallait aussi penser aux loisirs, aux cultes, aux réparations si nécessaire.

Les bâtiments en contrebas du camp furent réservés aux fathers des différents groupes missionnaires. C’est ainsi qu’on nous assigna 2 chambrettes de 3 mètres sur 3 dans le bloc 48. C’était un petit bloc qui comprenait encore une chambrette qui fut attribuée aux Trappistes ; ils étaient trois dont deux belges, le Père Struyven et un autre puis encore un troisième qui fit parler de lui dans le camp, car il était devenu le champion du marché noir avec les Chinois dans un coin voisin de notre baraque.C’était le Père Scanlan, un Australien.

Dans notre chambrée il y avait Raymond, Michel et moi. Comme il n’y avait pas beaucoup de place et que Raymond avait pu apporter 2 grandes malles : on les mit bout à bout et je pus dormir dessus pendant les premiers mois, avant que nous déménagions au Bloc 56. Dans la chambre voisine avaient pris place Nicolas, Albert P. et Paul Gilson.

Nous étions situés sur un lieu de passage à l’est du camp. Non loin de là se trouvait la cabine électrique pour tout le camp, ce qui nous permit de surveiller le garde qui en avait la charge et de découvrir à quels moments il mettait l’éclairage dans le camp. Lorsque nous avons déménagé dans le bloc 56, les chambres donnaient les unes sur les autres : dans la première il y avait Herman, Raymond et Albert ,dans la seconde, il y avait moi (cette fois j’avais pu dégotter la monture d’un lit de fer) et Michel, dans la chambre suivante Nicolas était tout seul.

Dans la première chambre, il y avait une petite tablette sur laquelle nous pouvions à tour de rôle célébrer la messe, on n’avait pas encore inventé la concélébration et pour célébrer nous employions un dé à coudre de vin et une petite hostie. Chaque mois un père allemand, le P. Schnusenberg, qui accompagnait le consul suisse, nous apportait une bouteille de vin de messe et des hosties dans une boite métallique qu’il avait bien soin de demander en retour. C’était sa manière d’être sûr que les messages placés dans le fond de la boîte nous parvenaient. En hiver nous commencions à célébrer dès 6 h, mais à la lueur - une pauvre petite lueur - apportée par une lampe à l’huile. Aussi, comme avec Albert nous avions découvert les mouvements du garde chargé de placer au positif le switch de l’électricité, nous prîmes l’initiative d’aller, à tour de rôle, mettre le courant en route, une demi-heure plus tôt. Cela marcha quelques semaines jusqu’au jour où Albert revint en courant, tout essoufflé, dans la chambrée : il avait été repéré par un garde qui le poursuivait et entra bientôt dans la première chambre. Il le fit venir au poste de garde et il dut subir une punition sévère sur les doigts, puis il fut relâché.

Pourquoi ne pas insérer ici le détail d’une visite que je viens de recevoir. Il s’agit d’Albi De Zutter, qui fut mon jeune élève au camp de Weihsien, il avait alors 12 ans et moi 31. Lui et son frère aîné, John étaient Belges, mais la carrière de leur père les avait fait naître à Tsingtao, sur la côte chinoise et ils avaient été élevés en anglais. Leur maman était Russe.

J’avais gardé avec eux des relations occasionnelles par lettres, mais c’était il y a bien longtemps. Or voici qu’ à la faveur de correspondance sur le « chat » d’Internet, nous renouions pour nous envoyer quelques petits messages. Mais cette fois son message était très direct : il voulait venir en Belgique pour me rendre visite et il souhaitait que je lui réserve un ou deux jours pour pouvoir bavarder.

Au cours de sa visite, il se montra très confiant et désireux de noter le maximum de ce que je lui disais sur un grand bloc-notes. Il voulait en savoir plus sur les origines de ma famille et sur moi-même. Finalement, je lui demandai le but de cette interview ; désirait-il publier quelque chose à mon sujet. C’était peut-être dans ses vues puisqu’il avait été directeur du Journal diocésain de Kansas City. Mais il me détrompa. Il voulais seulement mettre en relation avec sa vie la mienne qui l’avait fort impressionné au cours des années passées à Weihsien. Il avait fort admiré le travail des 5 samistes dans le camp, toujours prêts à aider, toujours souriants, et travailleurs. Bref, il me confie qu’il aurait voulu suivre ma trace et, à cet effet, avait terminé son collège chez les Bénédictins aux U.S.A. Mais plus tard il s’était marié, avait eu 4 enfants et 9 petits-enfants et maintenant qu’il était retraité, il voulait revoir sa vie en lien avec la mienne. J’étais très ému de cette marque de confiance et de cette fidélité, après tant d’années.

Le mercredi 4 avril 2007, on se fit des adieux, tandis que Léopold Pander venait le chercher pour le conduire à Bruxelles. Il comptait alors louer une auto et descendre jusqu’ à Nice pour y rendre visite à une cousine de son père, son aînée de 6 ans.

Peut-être est-il intéressant de dire ici quels furent les travaux « choisis » ou imposés aux Samistes pendant ces 30 mois de vie enfermée. Tout le monde devait accepter un travail et nous étions assez ignorants des tâches à assumer. Albert Palmers et Herman Unden décidèrent assez rapidement de travailler à la boulangerie et s’ y fixèrent. Une fois tous les 3 jours, ils devaient se lever tôt et répondre à l’appel de la boulangerie dès 6 h du matin. L’avantage pour nous cinq samistes est qu’ils pouvaient, l’un et l’autre, rapporter un pain, reçu en cadeau. Ce qui fait que nous n’avons jamais eu faim. Au début, il était assez quelconque, mais un chimiste belge réussit à produire de la levure au départ de patates douces et dès lors nous avons toujours reçu un pain très mangeable.

La tenue des toilettes avait retenu l’attention particulière de Raymond de Jaegher, car il avait remarqué que les boueux qui venaient vider nos fosses sceptiques étaient des Chinois et comme il souhaitait garder ou établir des contacts avec l’extérieur cela l’arrangeait bien. Michel Keymolen fit équipe avec lui et l’on pouvait les voir tous les deux se rendre aux chiottes régulièrement pour les nettoyer ou s’assurer qu’elles restaient propres. Le signe de leur charge n’était rien d’autre qu’un mop sur l’épaule.

Que faisait Nicolas Wenders ? Je ne me souviens plus très bien. Je crois qu’il a travaillé à une cuisine et peut-être aussi au boiling room. Quant à moi, E.Hanquet, j’acceptai assez vite de travailler, un jour sur trois à la cuisine N° 2, où on préparait la bouffe pour 600 personnes . Nous formions une équipe joyeuse et très soudée que je finis par mener comme chef-cook. Nous avions même un chant d’équipe tiré des nursery-rimes qu’on apprenait aux enfants des écoles du dimanche, chez les protestants. C’était : « the best book to read is the bible etc. » que nous reprenions en chœur tout en tournant dans nos énormes « kuo », grandes casseroles de fonte qui pouvaient contenir de 6 à 12 seaux.

Par la suite, je dus interrompre cette tâche pour une raison de santé, puis j’acceptai pendant un hiver de bûcheronner pour la cuisine de l’hôpital. C’était un travail que je pouvais faire à mon goût sur un petit terrain proche du bloc 56 où nous vivions. Le problème c’était la matière première, de vieilles souches qu’il fallait débiter en morceau avec des cognées faites de tuyaux en fer sur lesquels on rivait le tranchant d’une cognée. C’était très fatigant et il fallait absolument travailler avec des gants.

Enfin dans les mois suivants j’ai fabriqué des nouilles avec une vieille machine à cylindres retrouvée dans les greniers de l’ancienne école presbytérienne et dont nous avons dû découvrir le maniement. Cela prit un certain temps, mais finalement avec l’aide de mes collègues, Langdon Gilkey et Robins Strong, nous pouvions chaque jour fournir des nouilles fraîches à l’une des trois cuisines du camp. Pour les derniers mois de la vie an camp, j’ai travaillé à la boucherie ; c’était une petite chambre où nous entreposions les viandes apportées au camp par les Chinois et que les Japonais entreposaient chez eux.

Travailler à la boucherie demandait du doigté et il fallait éviter de se blesser pour éviter de vilaines infections aux doigts. Dès l’arrivée il fallait sélectionner les meilleurs morceaux qui partaient à la cuisine de l’hôpital. Pour le reste, on essayait de faire des proportions égales pour les trois cuisines du camp. La plus importante était la cuisine 2 où j’avais travaillé longtemps. La il fallait souvent cuire le tout dans la plus grande des casseroles pendant tout une nuit, afin de ramollir tous ces bas morceaux dont nous devions le matin prélever en surface les graisses excédentaires qui nous permettaient parfois de frire quelque plat. Une de nos spécialités était les « lu-tou-burger »,sorte de hamburger dont la viande était remplacée par des graines de soya qu’on appelle « lu-tou » en chinois.

Familles rencontrées :

Personnellement je fus en lien d’amitié avec la famille Baeten, des Belges de Shanghai arrivés tardivement au camp. Ils avaient 2 enfants,un garçon et une fille Irène. C’est du garçon dont je me suis beaucoup occupé. Il devait avoir 16 ans quand il est arrivé au camp, mais en paraissait plutôt 14. Il s’appelait Georgiles du nom de son père, un anglais qui l’avait reconnu avant que Charles Baeten n’épouse sa mère. La sœur plus jeune était du second mariage. Le fils s’appelait Johny et était parfois cause de conflits entre les parents. Je lui ai donné des cours de latin et nous avons souvent été promener dans le camp, quand l’atmosphère était trop tendue à la maison. En effet, à eux 4 ils habitaient une grande chambre, ce qui rendait l’intimité conjugale difficile. D’autres confrères samistes s’occupaient aussi de différentes familles, plutôt chrétiennes. Dans la troupe scoute que nous avions fondée on retrouvait plusieurs de ces jeunes. C’était un moyen de les occuper et de les former durant les heures de loisirs. Il y avait entre autres un garçon nommé Vova Bonner, du nom de sa mère qui était polonaise, mais avait épousé un américain qui n’était pas dans le camp. C’était un gamin intelligent, mais qui avait des sautes de nervosité. Il avait entr’autres, me dit sa maman, mangé un morceau de cahier dont il n’était pas fier. Il a été dans notre troupe scoute et je l’ai apprivoisé. Parmi les activités que nous imposions aux scouts il y avait une épreuve de cartographie qui consistait à faire le plan du camp .Il fit cela très bien, au crayon et respecta l’échelle. Aussi quel ne fut pas mon étonnement quand 50 ans plus tard, à l’occasion d’un rassemblement d’anciens prisonniers des camps japonais en Asie, rassemblement qui se tenait près de Londres, je le vis arriver avec sa mère, son épouse et sa fille. Ils venaient des États-Unis et avaient averti l’organisation qu’ils viendraient au rassemblement, intitulé « once upon a lifetime », seulement s’ils étaient assurés de m’y rencontrer.

Nous nous sommes retrouvés avec bonheur et émotion. Il était devenu professeur de théologie dans une université protestante. Plus tard il vint me rendre visite en Belgique avec son épouse et j’eus l’occasion de leur faire visiter quelques coins de Belgique, dont le Mardasson à Bastogne.

Quelques années plus tard il vint me voir seul et m’annonça qu’il s’était remarié. Cette fois, s’il venait en Europe c’était pour rechercher ses origines. Peut-être la Roumanie. Il avait pour tout document une photo de son grand-père en uniforme prise dans une ville de Roumanie. Après son voyage en Roumanie, il revint me voir et était tout heureux d’avoir découvert les renseignements qu’il cherchait, grâce aux registres paroissiaux dans lesquels on lui avait permis de fouiller. Plus tard, il y a environ 5 ans, j’ai reçu une lettre de son épouse m’annonçant le décès de son mari.

À propos de décès j’ai appris à fin mai que Norman Cliff était décédé, dans son lit. C’est sa veuve qui avait transmis la nouvelle par Internet à Mary Previte qui l'a transmit à L.Pander.

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Raymond de JAEGHER

Le premier souvenir que j’aie de Raymond, ce fut lors d’un de ses passages qu’il faisait à Pékin ; il avait l’habitude de loger à la Procure de Suanhua dont Paul Gilson était le responsable. Comme Paul avait accepté que je loge là pendant le temps de mes études de chinois au Hua Wen Sue Siao, je rencontrais Raymond à ses passages. Raymond avait été le premier samiste envoyé en Chine, alors qu’il n’était pas encore prêtre, car le Vicaire voulait l’envoyer au Père Lebbe pour le convaincre que notre vocation d’auxiliaire était possible. Raymond fut donc donné au diocèse d’Ankuo là où le P. Lebbe résidait. Il fut ordonné par Mgr Suen évêque du lieu et un des six premiers évêques chinois. Paul Gilson et Nicolas Wenders l’avaient rejoint en Chine deux ans plus tard, mais ils étaient donnés au diocèse de Suanhua.

Comme j’arrivais en Chine quelques années plus tard, ces confrères m’interrogeaient sur les progrès de la SAM en Belgique et sur la vie du séminaire, villa des roses à Herent. C’était en 39 et 40, peu avant la guerre en Belgique. En Chine nous étions déjà en guerre et les Japonais occupaient déjà les diocèses où nous travaillions. Pour circuler sans trop de problèmes les missionnaires de Pékin avaient pu arranger avec l’autorité japonaise de nous délivrer ce qu’ils appelaient : le passeport shinshin, une sorte de document officiel signé d’un amiral japonais catholique et qui expliquait que nous étions missionnaires catholiques sans autre objectif que l’évangélisation.

La vie missionnaire allait son train-train habituel, bien que nous fussions souvent maintenus dans les missions avec peu de possibilités d’en sortir. Pour ma part, j’avais déjà fait l’objet d’une arrestation d’une centaine de jours à Hongdong, mais j’en parlerai ailleurs. Aucun de nous ne s’imaginait qu’il allait être envoyé eu camp d’internement au Shantong, à Weihsien et qu’il allait y rester pendant deux ans et demi. C’est donc dans ce camp que nous avons été amenés à vivre et à nous connaître. Nous vivions dans 2 chambres contiguës pendant les six premiers mois et puis, après le départ de Paul Gilson qui acceptait de retourner à Pékin pour s’occuper discrètement de sa procure, dans trois chambrettes qui se communiquaient. Dans la première commandée par une petite terrasse au rez-de-chaussée vivaient Albert, Raymond et Herman ; dans la seconde plus petite vivait Michel et moi-même et dans la 3° - encore plus petite - Nicolas était seul.

Raymond devint très vite un personnage au camp Il parlait le chinois et l’écrivait très bien et son anglais était excellent, ce qui lui permettait de lier des contacts avec tous. Or il était un good communicator et il se fit très vite des amis dans différents groupes. Par exemple comme il connaissait très bien le chinois, il rencontrait des Américains professeurs à la Yenching university et il participait à leur cercle d’études sur la langue et la littérature chinoise. Il rendait aussi service aux quelques religieuses américaines restées avec nous au camp et il se spécialisa bien vite comme le facteur discret de nombreux amis internés. Le facteur qui apportait le courrier au commandant du camp laissait son vélo, muni d’une grande pochette, à proximité de la cour réservée au Q G du commandant. Il profitait du temps laissé par le facteur, tandis qu’il livrait son courrier, pour glisser dans sa pochette de vélo les lettres que lui confiaient des amis internés. Il ajoutait bien sûr un billet pour le récompenser.

C’est lui qui prépara la seule évasion du camp qui fut une réussite. Pour ce faire, il fallait contacter des Chinois et les seuls qui entraient dans le camp, étaient les boueux qui venaient régulièrement vider nos fosses d’aisance. C’était la raison pour laquelle Raymond avait accepté comme travail obligé de s’occuper des latrines à tenir propres. L’évasion réussit, mais Raymond qui avait tout préparé pendant des mois dût y renoncer sur l’ordre formel du curé du camp, le Père Rutherford. Il craignait les représailles sur les chrétiens. C’étaient Laurie Tipton et Arthur Hummel (qui fut dans les années 80, ambassadeur des Etats-Unis à Péking). Il est mort depuis.

Raymond était devenu l’ami personnel de quelques personnes. Je me souviens de celle qui tenait l’atelier de couture et que nous appelions « l’oiseau bleu » parce qu’elle s’appelait Bird. Elle était très complaisante et pour le dernier hiver elle me confectionna un merveilleux wind-jacket fabriqué avec une ancienne couverture grise. On le voyait aussi souvent se promener avec une demoiselle, professeur au Chefoo-school. Confidentiellement Raymond nous confia qu’il l’enseignait pour recevoir le baptême catholique. Le jour où cela arriva Pa Bruce, le principal de l’école lui fit des difficultés. Elle se défendit en disant que son contrat d’enseignante ne stipulait pas qu’elle devait rester protestante. Pa Bruce la maintint comme professeur. Plus tard, après le camp, elle entra chez les Carmélites et elle résida à Bruges pendant un certain temps ; elle devenait aveugle.

Après notre évacuation en avion vers Péking :

Raymond avait séjourné à Péking puis était retourné à Ankuo pour un certain temps, mais très vite il reprit contact avec le réseau secret de résistance aux communistes. C’est un travail qui l’intéressait très fort et qui prit le pas sur ses activités dans les années suivantes. En sont témoin ses voyages et séjours au Vietnam où il fonda une école chinoise à Cholon, ses rencontres avec le Président Ngo Dim Diem et sa famille, ses voyages à Taiwan et aux États-Unis. C’est là qu’il accompagnait le cardinal Yupin dans es conférences et pourparlers.

Raymond était convaincu qu’il fallait établir une alliance asiatique contre les communistes chinois ce qui le rendit « persona non grata » en Chine. Il s’était créé un réseau de connaissances et d’amis avec lesquels il aimait correspondre et auxquels il envoyait des photos, toutes légendées, quand il les avait rencontrées J’ai pu m’en rendre compte quand je suis allé à New York après son décès, pour inventorier tout ce qui restait dans son bureau , le trier et en ramener 50 kilos à la SAM à Bruxelles.

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Albert Palmers

Albert était le fils de Léon Palmers, magistrat à Liège, et le neveu de Paul Hanquet et de son épouse, Laure Palmers. Paul Hanquet était le frère aîné de mon père. Nous avions donc une tante commune et cela explique que nous avons eu de nombreuses occasions de nous rencontrer durant notre jeunesse. Mais tandis que je faisais mes 3 premières classes primaires chez les Filles de la Croix, Albert faisait toutes ses primaires à l’institut Saint-Paul où il n’y avait que des garçons. Aussi est-ce à partir de la 6e Latine que nous nous sommes retrouvés au collège Saint-Servais, tenu par les Jésuites.

Albert n’a pas été scout comme moi, dès 1928, mais nous nous retrouvions parfois en dehors du collège et c’est ainsi que je fis connaissance de leur propriété de famille dans les Fourons, à Ottegrave. Nous y allions avec mon frère jumeau en bicyclette ; cela prenait 1 h et demie au moins. Mais l’accueil était sympathique et il nous arrivait même de nous baigner dans les douves qui entouraient le château. Albert avait de nombreux frères et sœurs et plus spécialement Jean qui le précédait d’un an et qui jouait aussi tennis avec nous.

En classe Albert était plutôt épinglé parmi les chahuteurs et je pense qu’il a souvent écopé de deux heures de retenue, ce dont j’avais horreur et que j’ai toujours évité. Je crois que je n’ai été collé qu’une fois. Mais au total Albert était un élève moyen, bon en math. Et assez imaginatif. Je me souviens qu’en poésie ou en rhéto il nous avait fort amusés par un devoir de français que le prof avait lu en public et dont l’héroïne s’appelait ‘Rameau d’or’.

À la fin du collège, Albert opta pour des études d’ingénieur avec une année préparatoire qu’on faisait au collège. Quant-à-moi, je me suis inscrit avec mon frère, Albert en philo, préparatoire au droit. Nous nous rencontrions de temps en temps avec des copains pour jouer au bridge. Le scoutisme nous absorbait très fort. Je fus invité à aider une jeune troupe qui démarrait avec des élèves de l’athénée et en pris la direction l’année suivante. Nous avions aussi un clan qui marchait très bien, c’est là qu’Albert nous rejoignit. Nous avions alors un aumônier qui faisait florès et qui s’appelait alors Fernand Lacroix, ou Dragon. Plus tard, sa famille élargit un peu le nom de famille pour s’appeler ‘de la Croix’.

Le Dragon était fort aimé et apprécié des scouts. Il prêchait des retraites dans les collèges bien que vicaire dominical à Saint-Jacques à Liège. Il était un des premiers Samistes et un grand recruteur pour la SAM. C’est ainsi que je puis dire qu’en dehors de l’action du Saint-Esprit, Albert et moi nous tombâmes dans ses filets. Mais Albert entra à la SAM une année après moi.

En 40 lorsque la guerre arriva, le Vicaire conseilla aux séminaristes de se rendre en France pour retrouver les centres d’entraînement de l’armée belge qui allaient s’ouvrir dans le midi. Albert qui avait terminé sa formation préféra prendre le large et essayer de gagner la Chine par l’Afrique. Ce fut pour lui une odyssée fantastique dont il se tira avec honneur. Il atteint Pointe Noire en bateau, puis il rejoint le Congo où il fut aidé par des colons et put ainsi traverser l’Afrique et rejoindre Mombasa. Là il s’embarqua sur un bateau qui allait en Chine et il arriva à Pékin avec plus d’argent en poche qu’il n’avait en partant. C’était un débrouillard et il le prouva dans la suite de son existence.

Séjournant à l’évêché de Pékin, je pense, il étudia le chinois pendant 2 ou 3 ans, ce qui lui permit par la suite de lire et même de publier en chinois. Il rejoint le diocèse de Nankin, pas pour longtemps, car arriva bientôt l’évacuation vers Hongkong et plus tard vers Formose. À Hongkong où il se trouvait avec des chrétiens, réfugiés comme lui, il obtint de les installer sur un pan de montagne d’une île voisine. Tout y fût creusé : chemins et maisons sans étage. On ne pouvait y circuler qu’en pousse ou en chariot. Cependant, il construisit une école primaire et secondaire qui avait bonne réputation. À la fin de son séjour à Hongkong on lui fit l’honneur de nommer de son nom l’avenue qui menait au port.

Lors de mon premier voyage à Formose, Jean, le frère d’Albert m’avait demandé de pouvoir m’accompagner, car il ne parlait pas anglais.

Ça doit être vers les années 79. Je crois qu’il nous a logés chez lui. Il avait fait construire une petite église de style chinois avec une cour attenante. C’était joli et bien, mais malheureusement c’était construit sur un terrain réservé à une autoroute. Aussi après quelques années il dut déguerpir. Je crois qu’il a reçu une certaine indemnité, certainement pas assez pour reconstruire ailleurs. Il se débrouilla pour trouver un terrain dans le même quartier, mais plus proche de l’université. Mais il dut construire en hauteur : un jardin d’enfants en sous-sol, l’église au rez-de-chaussée, le presbytère au premier et des chambres d’étudiantes au deuxième ; de cette façon, il rentabilisait deux étages : le sous-sol réservé au jardin d’enfants étant la seule école que l’église pouvait ouvrir et les chambres d’étudiantes du deuxième étage se louaient aussi d’un bon prix.

Nous avons profité de l’occasion pour rendre visite aux autres samistes qui travaillaient à Taiwan. Puis au retour nous sommes allés à Hongkong avec Albert qui voulait nous présenter le quartier de banlieue où il avait habité pendant quelques années après avoir quitté Nankin. C’était un pan de montagne en dehors de Hongkong où on ne pouvait circuler qu’en pousse ou en charrette. Les chrétiens avaient tout creusé pour les rues à flanc de montagne et logé leurs maisonnettes des deux côtés des rues. Plus tard il y eut même une avenue menant au port qui porta le nom chinois d’Albert. Il ouvrit aussi une école primaire et secondaire catholique qui marchait de pair avec une autre école officielle.

Quelques années plus tard, en 82 ou 83 je lui rendis visite à nouveau en combinant cela avec un voyage aux Philippines. Il me fit loger chez les Jésuites, je pense. À la fin de mon séjour qui m’avait permis d’aller rendre visite à Hugo Peter quand il habitait sur une île et s’occupait de handicapés, j’avais décidé de faire un bond à Tacloban sur l’île de Leyte pendant 3 jours et puis de revenir pour 36 h afin de recevoir à dîner tous ceux qui m’avaient gentiment reçu. Je n’avais pas prévu qu’il me faudrait un nouveau visa d’entrée. Heureusement, Albert arrangea cela grâce à un ami fonctionnaire.

Plus tard Albert contracta un cancer ; ce qui ne l’empêcha pas de continuer son travail de curé et de visiteurs de malades. Mais vint le moment où il dut rester couché, et c’est à l’hôpital militaire, qu’il visitait régulièrement, qu’il mourut quelques mois plus tard.

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Hanlonien

Au mois de juillet 1939 après avoir étudié le chinois pendant 5 mois à Pékin, je quittai donc la procure de Suanhua tenue par Paul Gilson et je pris le train pour Hongdong au Shansi avec un chrétien de Shihchiachuang qui voulait bien m’accompagner pour me faciliter le voyage. Celui-ci devait durer 3 jours, car sous l’occupation japonaise les trains ne voyageaient pas la nuit, mais il dura en réalité un mois à cause des inondations et des attaques de la huitième armée communiste sur la voie ferrée tenue par les Japonais. Je crois que j’ai déjà raconté les étapes de ce voyage, aussi je saute directement à mon arrivée à Hanlonien.

C’est un petit village accroché à la montagne situé à 15 Kms de Hongdong. L’évêque s’y était réfugié avec quelques prêtres et les petits séminaristes. Ils s’y trouvaient à l’abri dans une sorte de « no-mans-land ». Mais l’abri était précaire parce que les bâtiments étaient destinés à un curé de montagne, donc assez exigus pour cet arrivage de réfugiés venus de la ville, en tout près de 50 personnes. Les soldats japonais y montraient parfois le bout de leur nez le jour, tandis que les troupes de la huitième armée (communiste) se pointaient parfois la nuit. Mais comme toutes les missions construites par les premiers missionnaires hollandais étaient entourées d’un mur d’enceinte, nous étions en général à l’abri.

Hameau au bord de Hongdong.

Il est venu me chercher avec son chariot dans la matinée et nous avons fixé mon bagage (2 malles coloniales et une valise) sur son chariot en laissant juste assez de place pour nous asseoir à l’avant. La route est de terre battue et nous roulons beau train tant que nous sommes en terrain plat c'est-à-dire environ dix kilomètres/heure, mais ensuite nous commençons à monter par une route en lacets qui se rétrécit de plus en plus pour aboutir à mi-hauteur d’un petit cirque, où la mission est installée. Presque toute la population est chrétienne, mais on ne voit pas d’autres habitations que les façades de cavernes taillées dans le lœss dans les flancs de la montagne. C’est ce qu’on appelle des troglodytes. Ces habitations sont assez faciles à creuser. Elles sont de forme ogivale et ont entre 15 et 20 mètres de profondeur. On y trouve en façade la porte d’entrée et une fenêtre en lattes de bois recouvertes à l’intérieur de papier de riz. Dès l’entrée on découvre la grande casserole de fonte qui sert à la fois pour cuisiner et pour chauffer le « k’ang »,lit familial , haut de 60 cms et recouvert de briques de terre sous lesquelles passe la cheminée qui va chauffer les dormeurs pendant l’hiver. Ceux-ci enveloppés dans des couettes dorment côte à côte.

Mais les bâtiments de la mission sont sans étage et sont alignés en forme de cours, la première pour les prêtres et la seconde pour le service et les mules. Les séminaristes sont logés dans un édifice construit à l’arrière en forme de caverne lui aussi, mais couvert d’un toit plat. Ils y dorment sur des « k’angs » construits des deux côtés de la caverne. Pour la toilette du matin, nous utilisons tous des petits bassins émaillés et il faudra le concours de deux porteurs qui iront puiser l’eau au ruisseau en contrebas du village, plusieurs fois par jour.

Pour moi, on m’a aménagé deux chambrettes, une servant de bureau et l’autre plus petite servant de chambre à coucher. Dans celle-ci il y a pour tout meuble un lit, une chaise et une étagère taillée dans le mur du fond. J’ai une fenêtre donnant sur la cour, elle est tapissée de papier de riz comme toutes celles de la mission. Dans mon bureau, il y a une table carrée, un fauteuil de bois et deux buffets aux portes sculptées servant d’armoires. J’améliore l’accueil en plaçant mes malles coloniales recouvertes de couvertures, en guise de sièges. Au mieux, je me trouve là avec le confort d’un camp scout.

Dès mon arrivée je suis accueilli par Mgr Petrus Ch’eng, un petit vieillard dans la soixantaine. Il a un regard chaleureux et je sens de suite que je m’entendrai bien avec lui. En effet, je suis invité dans son diocèse (à l’époque une préfecture apostolique) pour lui servir de secrétaire. Si je possède une base de chinois, je peux l’aider en français et en anglais. Pour le latin, employé dans les relations avec le Vatican, il est plus fort que moi et parle un latin fleuri et il connaît comment commencer et terminer les lettres officielles.

Nous sommes en plein été et portons tous la robe chinoise, blanche ou grise que tous les bourgeois portent. Ma chambre est en face de celle de l’évêque, mais de l’autre côté de la cour. Nous prenons nos repas ensemble dans la chambre principale qu’on appelle k’oting en chinois et qui se trouve au centre du bâtiment à côté de la chambre de l’évêque. Nous sommes en général cinq ou six à table, le curé de la paroisse et deux ou trois prêtres professeurs. La nourriture est simple, toujours chinoise. Le matin nous mangeons des man’teou, sorte de boule de mie blanche, cuite à la vapeur et nous buvons de l’eau chaude. On ajoute parfois au repas quelques légumes salés. À midi, nous allons d'abord prier à l’église et dire, à la manière franciscaine, cinq paters et cinq avec les bras en croix. Puis après un quart d’heure on se rend au k’oting pour manger un ou deux bols de nouilles avec quelques légumes, carottes, épinards ou navets. À la fin du repas on nous sert une soupe, plutôt bouillon avec quelques reliefs des légumes et parfois nous avons un fruit : poire ou kaki, pour dessert.

Dès mon arrivée après quelques contacts avec l’évêque, je commence la vie studieuse avec le P. Martin Yang, professeur au séminaire et le plus lettré de mes confrères chinois sur place. Il va poursuivre pendant plus d’un an mon apprentissage du chinois à raison d’une heure chaque jour. C’est un professeur très appliqué qui est à peinte plus âgé que moi. Il deviendra un ami au point que, comme j’en parle volontiers dans mon courrier avec la Sam, le Vicaire me mettra en garde contre le risque d’une amitié particulière. O tempora o mores. Martin me fait écrire au pinceau chaque jour en employant des modèles à imiter par transparence. Plus tard en 1949 ou 50 il vint en France avec un autre confrère, Barnabé Lou, pour fuir les communistes sur les conseils du Nonce apostolique. J’ai été près de Paris, au couvent des Dominicains du Saulchoir, pour les accueillir. Incidemment, c’est à mon retour en stop depuis Paris jusque Bruxelles que je fis la rencontre de Madame Marteaux, la veuve de l’ancien ministre de la Santé, communiste et de son beau-fils. J’eus l’occasion d’aller dîner chez elle plusieurs fois dans un superbe appartement au début de la rue Béliard (à Bruxelles) près du boulevard intérieur.

Quand j’avais le temps après le repas de midi, j’allais dans la cour des séminaristes exercer mon chinois et disputer un match de volley-ball. Ils étaient excellents joueurs et m’acceptaient volontiers dans une des équipes. En 1941 je conduisis les plus âgés d’entre eux au Séminaire de Suanhua, séminaire régional que dirigeait depuis ses débuts Nicolas Wenders et où enseignait Michel Keymolen. C’était pour moi l’occasion d’une petite récréation avec les confrères. Le voyage prenait au moins trois jours jusque Pékin et après un arrêt chez Paul Gilson, il fallait encore compter presque une journée pour arriver à Suanhua, aux confins de la Mongolie.

Le pays était en guerre depuis 1937 et les Japonais occupaient toutes les voies de communication dans le nord du pays. Ils avaient la réputation de ne pas être tendres avec les Chinois et c’est pour cela que le supérieur du séminaire m’avait demandé d’accompagner ceux-ci. Bien des années plus tard, à l’occasion de mon deuxième retour à Hongdong, j’eus l’occasion d’en rencontrer plusieurs. Ils étaient devenus des prêtres âgés, chevronnés, et en charge de postes importants dans le diocèse.

J’étais accompagné d’un serviteur connaissant le chinois, qui s’occupait de ma mule et de mon bagage et, surtout, qui connaissait le chemin. J’ai oublié le nom du village, mais je me souviens qu’en route, circulant à flanc de coteau dans une petite vallée, subitement le chemin avait été coupé par une dernière pluie d’orage et ma mule fit le saut pour arriver de l’autre côté du chemin, mais en même temps me débarqua dans le ruisseau. J’en fus quitte pour un bain de siège et sans blessure.

Arrivé au village j’étais pris en charge par le chef de la chrétienté qui avait tout organisé pour mon séjour au village. Il y avait une chapelle dont la sacristie servait aussi de logement pour le prêtre de passage I l y avait un minimum de meubles : une armoire pour les objets du culte, un lit, une table et une chaise. J’apportais ma literie avec moi. Le serviteur était chargé de faire la liaison avec la chrétienté qui préparait la nourriture et fournissait l’eau. À l’époque dans cette partie de la Chine c’était impensable d’avoir l’eau courante, encore moins des égouts. C’était le confort du moyen-âge. On puisait l’eau au puits ou à la rivière et il fallait absolument la bouillir avant consommation.

Les chrétiens venaient à tour de rôle saluer le père avec leurs enfants. C’était un moment que j’aimais bien, car je pouvais faire connaissance avec eux et, en même temps, éprouver mon chinois. On préparait la cérémonie du lendemain avec le catéchiste et, éventuellement, la célébration d’un baptême. Il y avait aussi une séance de confessions et je faisais confiance au Seigneur s’il y avait des péchés que je n’avais pas bien compris. L’accueil de ces paysans était magnifique ; ils se mettaient en quatre pour bien recevoir et, le soir, à la lueur d’une lampe à l’huile, les aînés venaient encore bavarder avec le missionnaire venu de loin.

Au cours de cette année 1941, je fus envoyé plusieurs fois dans les mêmes villages ce qui me permit de les connaître un peu mieux. Mais voici que durant l’été l’évêque m’appelle et me dit qu’on a essayé d’incendier les bâtiments de l’église en ville laissés à la garde de deux veilleurs âgés. Il me demande d’accepter d’être nommé curé en ville, pensant qu’un étranger aurait plus de poids pour traiter avec les Japonais et pour éviter que cela ne se répète. En bon samiste, j’accepte.

Et me voilà déménageant depuis le séminaire qui avait pu retrouver ses bâtiments près de la ville et où l’évêque et quelques prêtres étaient venus se réinstaller, déménageant donc en ville où la cure consistait en un ancien bâtiment construit en forme ogivale du type des cavernes que creusaient les troglodytes du pays. Cette cure était assez grande et comportait une galerie donnant sur une double chambre, en face le bureau et à gauche la chambre à coucher, séparée par une cloison de bois et de papier.

Je gardais un bureau au séminaire, à côté de celui de l’évêque qui m’avait demandé d’être procureur et de m’occuper des finances du diocèse. Et je faisais presque chaque jour la navette en bicyclette entre la ville et le séminaire A cette époque j’étais aussi le procureur du diocèse, ce qui veut dire que je devais m’occuper des comptes de chaque curé pour leurs relations avec l’évêque, pour l’octroi d’intentions de messe et d’autres subsides éventuels. Mais dans la province du Shansi, nous avions deux monnaies qui circulaient, suivant qu’on était en territoire occupé par les Japonais -c’était le yuan – ou dans le territoire occupé par les guérillas - c’était le fapi -.

Nous avions aussi de l’argent du subside annuel reçu des Œuvres pontificales ; ce subside arrivait l’été une fois par an, il était temporairement confié à la procure des Franciscains à Tientsin. Comme il n’y avait pratiquement aucune banque sérieuse sur le terrain, tout se réglait à travers la collaboration de marchands se rendant à Tientsin pour acheter des marchandises. J’étais donc en contact avec deux ou trois boutiques qui me remettaient de l’argent ayant cours localement, contre un chèque, signé par moi, sur la procure des Franciscains qui honoraient mon chèque. De cette manière, le commerçant pouvait voyager en sécurité, n’ayant en poche qu’un papier signé par moi.

J’avais donc un carnet de chèques numérotés de 1 à 50 que je gardais dans un tiroir de mon bureau. Comme la confiance régnait avec les serviteurs, je ne fermais à clé aucun meuble, seulement ma chambre était fermée sous cadenas quand je devais m’absenter. Un jour je reçois les comptes trimestriels de la procure de Tientsin et je constate qu’ils ont honoré deux chèques dont les numéros étaient hors série. Si je raconte cette histoire, c’est pour montrer que même en pleine guerre le commerce fonctionnait bien. En effet les deux chèques volés avaient servi de payement dans 5 ou 6 boutiques en succession, chaque boutique mettant son cachet au verso du chèque. Il me suffit de remonter la chaîne des cachets jusqu’au premier et de découvrir le voleur par lui. Avec tristesse, je découvris que le voleur n’était autre qu’un prêtre qui avait abusé de ma confiance et avait pénétré dans mon bureau en mon absence.

La vie en ville manquait de travail et de distraction. La population était réduite à 10% de ce qu’elle était avant l’arrivée des Japonais. Le commerce se limite à la grand-rue. Par contre, les bâtiments que je suis censé protéger sont assez nombreux et rassemblés le long du mur nord de la ville : il y a l’église au centre, construite par les franciscains hollandais au début du XX° siècle, puis à sa droite une cour flanquée de bâtiments des quatre côtés, c’était la résidence de l’évêque et des prêtres. De l’autre côté de l’église, il y a un jardin potager assez grand pour la ville ; sur le côté se trouve un bâtiment en coin qui sert de remise. J’y trouverai un jour en faisant l’inventaire de ce qui se trouvait sur les étagères une vingtaine de kilos de café caché dans un panier en osier. Dans le potager il y a un puits où l’on trouve de l’eau à dix mètres. Ce puits me servira de glacière durant l’été et j’y descendrai quelques bouteilles d’eau bouillie. Au-delà du potager, il y a encore une cour et un bâtiment qui servait d’école pour les filles. En revenant en arrière et au sud de l’église, il y avait deux cours flanqués de bâtiments latéraux et où se regroupaient les garçons du collège saint Pierre, dont s’était occupé le P.Yang.

Quand j’avais le temps, j’allais inspecter ces différents locaux pour en enlever la poussière accumulée depuis plusieurs années et j’y trouvais aussi des ballots de vêtements entreposés là sans aucune étiquette. Parmi ceux-ci avant un hiver rigoureux j’y trouvai un long manteau bleu marine que je m’appropriai comme un butin de guerre, sûr que le propriétaire ne viendrait jamais le rechercher. Parmi tous ces objets, je découvris encore quelques instruments d’un laboratoire de physique qui devaient provenir de l’école protestante située à l’Est de la ville. Comme nous n’avions pas de labo dans notre école secondaire fermée, je rendis visite aux responsables de la mission protestante pour leur restituer ces instruments.

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Hongdong et Hanlonian

En principe je dois lui servir de secrétaire, mais il parle et écrit mieux le latin que moi. Surtout il connaît les manières de commencer ou de finir une lettre à Rome, aussi sur ce chapitre je n’ai que des brouillons à préparer. Pour l’anglais et le français, il a recours à moi. Il aime aussi de raconter, aussi j’en profite chaque fois qu’il a du temps de lui faire raconter une partie de sa vie. C’est un grand admirateur du P. Lebbe. Il fut aussi directeur du collège saint Pierre, école secondaire pour le diocèse. Il vit maintenant réfugié comme moi à Hanlonian, mais il est fragile de santé et il est miné par le diabète. Aussi a-t’il un régime spécial : il faut des petits repas intermédiaires, il boit du lait et croque quelques morceaux de pain grillé.

Quand nous avons été emprisonnés en décembre 41 dans la résidence de Hongdong, lui fut emmené directement à la prison de Linfen avec le procureur, le P.Li et le Vicaire général, le P.Kao. Tous trois séjournèrent en prison dans des cellules de 2 mètres sur trois, à 3 ou 4 prisonniers ensemble et il fallait encore laisser de la place pour le seau de toilette. Mgr Tch’eng ne supporta pas ces mauvais traitements et il mourut à Linfen vers le l5 mars.

J’appris la nouvelle secrètement de la bouche d’un chrétien voisin de la résidence. Je décidai donc d’aller à la gendarmerie pour demander qu’on puisse faire revenir son corps afin de lui donner une sépulture décente. Mais comment lâcher la nouvelle au commandant de la gendarmerie. J’étais le seul parmi les prêtres à pouvoir lui rendre visite et je devais dans ce cas être accompagné d’un des gardes. En route j’inventai un petit scénario en passant dans la grande rue. En arrivant à la gendarmerie je leur déclarai tout net : Mgr est mort. Comment le savez-vous, me dit le commandant. Je lui répondis que quelqu'un derrière mon dos, en passant dans la rue, m’avait murmuré la nouvelle. Le commandant fil l’étonné et me dit qu’il allait s’informer.

Le lendemain je reçus un mot du commandant me disant « que je prenne mes dispositions pour aller avec un chariot à 15 H à la gare prendre livraison du corps de l’ennemi Pierre Cheng ». Il y avait heureusement un chrétien qui habitait juste en face de la porte d’entrée de l’église. Il s’appelait Kao. Avec l’autorisation de mon garde, je lui rendis visite et lui demandai de venir avec moi à la gare le lendemain avec son chariot. Le commandant me permettait aussi d’organiser l’enterrement dans la cathédrale, débarrassée de ses scellés pour l’occasion. Je donnai des instructions aux chrétiens de l’extérieur en vue de l’enterrement le lendemain, en spécifiant que seuls les hommes étaient invités. En effet les femmes redoutaient fort les contacts avec les Japonais.

Le lendemain à 10 H l’église était pleine. La veille vers 9 H du soir j’étais entré dans l’église avec un autre prêtre pour essayer d’ouvrir le cercueil et m’assurer que c’était bien la dépouille de Mgr Cheng qui s’y trouvait. Je reconnus le visage grâce aux médailles qui pendaient à son cou. La messe solennelle d’enterrement était célébrée par 3 prêtres et ensuite nous pûmes sortir de la ville pour aller au cimetière chrétien qui se trouvait à l’arrière de l’église de Suen Chia Yuan à une demi-heure de la ville.

Pendant que les chrétiens assistaient à l’absoute, j’invitai le commandant japonais et son équipe à venir prendre le thé au presbytère. Les chrétiens pendant ce temps firent entrer le cercueil dans la cour de la Sainte Enfance voisine de l’église, puis s’en furent au cimetière pour les prières rituelles. Ce stratagème permit donner un cercueil digne de Mgr, offert par un riche chrétien et de faire la toilette du corps. C’est ainsi qu’on découvrir que Mgr était couvert de poux.

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