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Ai-je eu peur au camp?

En réponse à la question de Mary Previte, je pense qu’une ou deux fois, j'ai craint les représailles des gardes japonais et que, pour cela, oui, j’avais peur que quelque chose de méchant ne m’arrive. Je me souviens spécialement de cette petite aventure qui a finalement eu un résultat favorable, même si elle aurait pu me conduire directement en prison pendant plusieurs jours si jamais je me faisais prendre en flagrant délit.

Vous connaissez tous les problèmes de pénurie alimentaire et de combien nous avons souffert du manque de produits de première nécessité tels que l’huile, les œufs et le sucre. Le sucre était très demandé par les parents des enfants, qui essayaient d’obtenir de petites provisions au marché noir. Nous, les adultes, étions assez habitués à la pénurie de sucre.

C'est la raison pour laquelle mon ami C.B. s'est renseigné pour savoir où les Japonais entreposaient exactement les sacs de sucre. Nous avions repéré précisément dans quelle maison de la partie japonaise du camp le sucre était gardé, et quand, finalement nous étions en possession de cette précieuse information, nous avons décidé d'agir immédiatement.

Pour agir rapidement, il avait besoin d'un complice pour surveiller notre partie du mur d'enceinte alors qu'il se trouverait de l'autre côté, dans les quartiers japonais, qui étaient rigoureusement réservés aux Japonais et à eux seuls. Un autre problème à résoudre était la dissimulation du précieux sucre avant de le transférer dans de petits sacs pour les quelques familles qui en avaient un grand besoin. Juste à l'extérieur de notre quartier (bloc n° 56), il y avait dans un petit jardin un puits sec qui a dû être creusé ces dernières années pour conserver des légumes pendant les hivers. C'était un endroit idéal pour notre sucre. Sûr et discret.

Alors, un soir d'automne, alors que l'obscurité tombait autour de nous, mon ami m'a donné rendez-vous près du mur, juste derrière les logements japonais. Je regardais pendant qu'il était de l'autre côté. Je me promenais, essayant de faire croire que je n'étais qu'un passant. Après ce qui semblait être une longue période, j'ai vu une tête émerger juste au-dessus du mur et, tout à coup, j'ai eu dans mes bras tout un sac de sucre de 10 kilos. Il fut rapidement caché dans une vieille veste et nous allâmes au bloc n° 56 pour nous cacher, la vieille veste avec du sucre dans le puits. Nous n'avons rencontré personne sur le chemin.

Les jours suivants, C.B. a fait quelques visites nocturnes dans notre petit jardin, apportant dans de petits sacs, de petites quantités du précieux sucre à ceux qui en avaient besoin.

Je voudrais ajouter un commentaire à propos du "chapardement" dans le camp. Vous ne pouvez imaginer ce que nous avons ressenti en tant que civils rassemblés, emprisonnés derrière des murs et gardés par des soldats japonais armés. Arracher quelque chose — dans ces conditions — n’était pas un acte de vol, c’était juste un retour correct de ce qu’ils nous avaient pris.

E. Hanquet.