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COURAGE

Le père Emmanuel Hanquet nous écrit:

Avec l'arrivée du premier hiver au camp, nous avons expérimenté la monotonie des longues et interminables soirées. Le soleil était plus généreux qu’en Europe, certes, mais il se couche tôt et les longues soirées froides sont sans radio ni télévision. La télévision n’existait même pas à cette époque!

Pour tous ceux et celles qui n'avaient rien de spécial à faire, les seules distractions disponibles étaient; de lire des livres, de se promener ou de rendre visite à des amis et des voisins. En ce qui concerne la lecture de livres, nous avions une petite bibliothèque avec divers livres apportés au camp par les différents groupes de prisonniers venus de Pékin, de Tientsin ou d’autres lieux. Le choix n’était pas fantastique, mais je dois toutefois vous dire que j’ai lu beaucoup de livres sur la vie en Chine et aussi sur l’histoire chinoise.

Outre la lecture, les quelques occupations possibles étaient les visites à des amis et aux voisins, le chant et les activités théâtrales.

À propos des visites: nous devions trouver assez d’espace pour accueillir nos amis dans les petites chambres où le seul siège adéquat était le lit à côté de celui sur lequel vous étiez déjà assis. Il y avait toujours quelqu'un autour de vous pour écouter la confiance que vous exprimiez. C’est la raison pour laquelle ces visites sont très rares, assez brèves et ont pour objet principal la demande d’une faveur.

À mesure que le temps passait et que les gens se connaissaient mieux et devenaient plus amicaux, il était de coutume d'organiser des fêtes d'anniversaire. Les mères ont fait des merveilles dans la cuisson de biscuits sans œufs ni beurre!

Nous avons eu des concerts.

Ces concerts, dans le style "chant-chanson", ont lieu deux ou trois fois par hiver et donnent un peu de joie et de beauté à notre existence par ailleurs ennuyeuse. Bien entendu, ces concerts et récitals devaient être minutieusement préparés et nous utilisions et abusions des talents de nos artistes locaux. Percy Glee (?) Était l'un de ces artistes précieux. Il était un excellent pianiste et chantait avec la voix merveilleuse d'un ténor. Il était également capable de diriger une chorale. Grâce à cela, nous nous sommes familiarisés avec la musique folklorique anglaise, les chansons folkloriques, ainsi que les spirituals nègres. La chanson qui occupait le rang le plus élevé sur le hit-parade à l'époque était: "God Bless America", c'était une chanson qui réchauffait notre esprit et notre fierté et nous donnait l'énergie nécessaire pour continuer. Tout le monde a appris les mots.

Nous avons eu des représentations théâtrales ...

Le théâtre n’a pas manqué d’artistes et, plus d’une fois, les petits groupes de nos jeunes gens ont préparé leurs représentations avec soin et minutie.

Ils ont récité des poèmes ou ont joué dans de courtes pièces de théâtre. Certains se sont même aventurés en donnant un récital complet.

Mais les incontournables étaient certainement la mise en scène du classique de Bernard Shaw, «Androclès and the Lion». Je dois vous en parler, car j'étais étroitement impliqué dans l'aventure. Le promoteur et metteur en scène de la pièce vivait dans le même bloc que le mien, mais au premier étage. Il s'appelait Arthur P. et partageait une chambre avec Larry Tipton. C'était un Anglais fin et distingué, pas très grand, avec une voix douce et une conversation intelligente. Nous étions voisins et, en tant que «gardien» du Bloc n° 56, j'ai souvent eu l'occasion de lui parler sans jamais être vraiment son ami pour autant. C'est pourquoi il m'a demandé avec hésitation — peut-être en raison de ma condition sacerdotale — qu'il s'est permis de prendre le risque de m'inviter à prendre part à son projet, ainsi qu'au père Palmers, de jouer le rôle d'un soldat romain !! Je lui ai assuré de notre collaboration complète. C’est la raison pour laquelle je garde encore un souvenir vivace de ma tenue de soldat romain. Elle avait été soigneusement assemblée à l’atelier de réparation par le biais de nombreuses boîtes de conserve, aplaties et assemblées, pour finalement prendre la forme d’un casque et d’une cuirasse qui nous correspondaient parfaitement. Pour donner plus de réalité aux regards de nos jambes et de nos bras qui étaient bien sûr tout blancs, nous les avons peints avec du permanganate de potassium qui nous a tous bronzés. Pour quelques jours seulement.

Néron apparut dans toute sa majesté avec sa couronne de laurier et son drapé dans un drap blanc entouré de ses courtisanes choisies parmi les plus jolies femmes du camp, vêtues de robes vertes et roses confectionnées à l'aide de vieux rideaux. Deux gladiateurs armés de filets essayaient de retenir Androclès comme prisonnier.

Le spectacle a été un grand succès et nous avons même dû faire un "rappel" pour pouvoir satisfaire tous ceux qui voulaient le voir. Quelques semaines plus tard, lorsque les parachutistes américains sont entrés dans le camp, nous avons même eu l'honneur de jouer à nouveau la pièce pour eux.

E. Hanquet