SOIXANTE APRÈS.
Par Emmanuel HANQUET
Le 17 août 1945, il est dix heures du matin. Le soleil brille après l’appel de 8 heures, au cours duquel il a fallu s’aligner devant notre maison, qui, sur deux niveaux, abrite une trentaine d’internés : 12 pères missionnaires en bas – dont six samistes : de Jaeger, Hanquet, Keymolen, Palmers, Unden et Wenders, et une quinzaine de jeunes célibataires en haut.
Depuis bientôt 2 ans, j’ai été désigné par le groupe pour être leur « Warden » et veiller au bon déroulement des opérations quand un garde japonais se pointe.
Depuis plusieurs jours des bruits circulent dans le camp. On dit que les commerçants japonais de la ville voisine, Weihsien, plient bagages. Soudain tandis que nous flânons à quelques-uns sur l’espace qui nous sert de terrain de jeux, un bruit étrange d’un avion qui cherche à reconnaître notre camp se fait entendre. Ce n’est pas le bruit d’un avion japonais auquel nous sommes habitués. Et puis cet avion vole plus bas et nous permet d’apercevoir sur son flanc sa cocarde américaine. Il vient de repasser à l’ouest de camp en lâchant une dizaine de colis accrochés à des parachutes de couleurs. Après un second parachutage latéral identique au premier, ce fut le bouquet au 3ème passage : 7 parachutes de soie blanche, au bout desquels pendaient 7 anges venus du ciel pour nous libérer. Au groupe composé d’américains s’était joint un jeune volontaire chinois qui devait servir d’interprète. En moins de temps que passé à réfléchir, nous passions la porte d’entrée, laissant le garde japonais décontenancé, et nous courions dans la campagne pour accueillir le chef du groupe, le major Staiger, juché au sommet d’une tombe.
Soixante ans après, le gouvernement chinois local décida de commémorer l’évènement en grande pompe en y invitant un bon nombre d’anciens prisonniers.
Il se trouve que depuis 4-5 ans, s’était ouvert un site sur le net « weihsien@topica.com » où quelques anciens du camp, depuis l’Australie, le Canada, la Belgique, l’Angleterre et les Etats-Unis partageaient leur souvenir. Certains même s’étaient risqués à un retour sur les lieux pour y reconnaître ce qui restait de notre camp, de plus en plus démantelé.
Un officiel chinois fut mandaté par son gouvernement pour aller aux Etats-Unis en 2004 afin de rencontrer des anciens désireux de revoir où nous avons passé 2ans ½ de notre vie. Il rencontra plusieurs enthousiastes du projet, surtout parmi ceux qui n’étaient encore qu’écoliers au camp.
Il y avait entre autres Mary Previte, devenue représentante de son état aux Etats-Unis et Norman Cliff, arrière-petit-fils du fondateur du « China Inland Mission » bien connu du monde protestant missionnaire. Norman Cliff était déjà retourné plusieurs fois à Weihsien, surtout pour y vénérer la tombe d’Eric Liddel, son ancien professeur mort au camp. Ce dernier avait gagné le 400 mètres aux Jeux Olympiques de Paris en 1924 et son histoire avait servi de thème au film que beaucoup d’entre vous ont vu, ? Michel Dumortier me confia qu’il l’avait vu 3 fois ? « Les chariots de feu ». Cliff avait déjà remarqué à un dernier passage qu’on avait embelli la tombe et déplacé celle-ci prés de l’entrée.
Cette fois ils étaient 70 anciens du camp, ayant répondu à l’appel, pour 3 jours, du gouvernement local. Il y eut des discours et des repas. Pour l’occasion la tombe d’Eric Liddel avait encore été embellie ainsi que les abords du camp. Ce qui était notre décharge où nous allions vider nos poubelles, était devenu un beau jardin public en bordure d’un ruisseau nettoyé et canalisé.
Mais le sommet de la rencontre fut l’inauguration d’une vaste stèle construite à l’entrée du jardin et portant les noms de tous les anciens prisonniers. Voilà comment sept de nos confrères ont leurs noms gravés sur la pierre dans ce jardin de Chine.
Une question s’est posée à l’issue de ce rassemblement, pourquoi les Chinois s’étaient-ils donnés tant de peine pour réussir cette rencontre? L’explication serait qu’ils voudraient faire passer par-là les tour-opérateurs à l’occasion des Jeux Olympiques de 2008 à Pékin. Avis aux amateurs qui auraient envie de nous représenter.
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Emmanuel Hanquet.