Je suis né à Liège le 15 juin 1915, en compagnie d'un frère jumeau, Albert, resté très liégeois aussi bien en affaires qu'en politique. Il fut pendant douze ans échevin des finances de la ville de Liège. Il est père de quatre enfants et cinq fois grand-père.
Mon père était fabricant d'armes de chasse. Avec son frère Paul, le chef de famille, il faisait prospérer l'industrie familiale fondée par un trisaïeul, Martin Hanquet, marchand de fer en 1770. De la fabrication de clous forgés, ils étaient passés à la fabrication d'armes blanches puis de fusils à pierre et finalement de fusils de chasse. L'ouvrier liégeois était réputé pour l'excellence de son travail et ses armes avaient un renom international, tant en Asie qu'en Amérique du Sud ou en Afrique. Enfant, je recevais fréquemment de mon père des enveloppes bourrées de timbres détachés du courrier quotidien. En les scrutant et en cherchant à savoir de quels pays ils provenaient, je prenais le goût des pays lointains et faisais sans le savoir de la géographie pratique Uruguay, Indonésie, Malaisie, Ceylan, Maroc, Congo et colonies françaises.
Ma mère était issue d'une famille d'hommes de loi et d'ingénieurs. Cependant elle avait fait toutes ses études à la maison avec une institutrice, à l'exception d'une dernière année passée à Paris au Couvent des Oiseaux, finishing school réputée pour les jeunes filles de bonne famille. Mariée à vingt ans, elle avait appris son métier d'épouse et de maman dans la pratique quotidienne et au cours de ses quinze maternités. Comme mon père, elle avait une bonne santé. Toutefois, après la naissance de la douzième, elle dut prendre un peu de repos et se choisir une aide qui fut pour nous une seconde maman. Il y avait vingt et une années d'écart entre mon frère aîné, Pierre, qui devint magistrat à Liège, et mon jeune frère, Jean-Baptiste, mon filleul, aujourd'hui banquier retraité.
Quand ma mère eut presque achevé d'élever ses enfants, elle fut souvent sollicitée pour parler de ses expériences éducatives et donner des conférences, à Liège d'abord, puis à travers tout le pays. Ma mère écrivait très bien, d'une belle écriture, lisible et ferme. Ses conférences furent publiées dans les années trente et remplirent trois volumes que les mamans lisaient avec fruit. Si les mamans savaient fut son premier livre. Puis elle publia Simplement vers la joie et ensuite Le bonheur au foyer. Je lui dois beaucoup, spécialement mon optimisme. Elle écoutait patiemment tout ce qu'on voulait lui confier et nous apparaissait toujours disponible. Cependant il y avait un temps qu'elle réservait à son mari : c'était la demi-heure entre son retour du bureau vers 18 h 3o et le moment du souper. Temps consacré à l'échange et au partage, dirions-nous aujourd'hui. Mon père lui racontait ce qu'avait été sa journée et ma mère les menus faits et anecdotes observés chez ses enfants.
Une solide formation.
Mon père menait sa grande famille - nous étions quinze enfants - avec autorité et discipline. Il ne levait jamais la main sur nous mais son regard et ses moustaches pointues suffisaient à nous en imposer. Chaque matin, dès 6 h 30, il faisait le tour des chambres de ses enfants, ouvrant les portes et chantant : « Lève-toi, lève-toi, l'aube est déjà levée ! » Il était déjà rasé et à moitié habillé. Vingt minutes plus tard il prenait la tête du peloton pour le conduire à l'église Saint-Jacques, notre paroisse, à deux cent mètres de chez nous.
Saint-Jacques était une superbe église de style gothique flamboyant, ancienne église abbatiale d'un monastère bénédictin. Elle avait une voûte peinte et ornée de personnages qui nous distrayaient et nous faisaient rêver. L'hiver, à la lueur blafarde des réverbères à gaz, nous trottinions vers le sanctuaire pour assister à la messe de 7 h. À cette époque les églises, en semaine, ne manquaient pas de fidèles. Nous y retrouvions d'autres familles amies, mais nous ne faisions la causette à la sortie, avec l'un ou l'autre, que le dimanche ou le soir à la faveur d'un salut du Saint-Sacrement ou d'une fête de la Vierge. Le reste du temps, nous étions trop pressés. En ce temps, les églises avaient des chaises de velours réservées à des personnes ou des familles qui acquittaient une taxe à cet effet. Mon père se bornait à installer ses enfants sur les chaises de paille en haut de l'allée centrale. On communiait au début de la messe, car il fallait quitter peu avant la fin et rejoindre la maison en hâte. Pendant ce temps, ma mère avait beurré de hautes piles de tartines que nous avalions avec appétit, agrémentées de café au lait, sans sucre.
Dès 8 h, les filles s'en allaient les premières, car elles devaient rejoindre les rangs des élèves du Sacré-Cœur, prises en charge à 8 h 10, près de l'église Sainte-Véronique, avant la montée sur la colline de Cointe où se trouvait le couvent dé Bois-l'Évêque. Huit de mes sœurs firent leurs études au Sacré-Cœur. Trois d'entre elles décidèrent d'y rester pour la vie en se dévouant à l'enseignement en Belgique ou au Zaïre.
Une seule échappa à la voie classique, sans doute parce qu'elle nous suivait de très près et formait avec mon frère jumeau, moi-même et un frère plus jeune, tué par les Allemands à la Libération en 1944, un bloc de quatre très unis. Pour les trois années primaires, nous allâmes ensemble à l'école des Filles de la Croix. Ma sœur, Marie-Madeleine, y resta pour continuer ses humanités anciennes et devenir ensuite régente littéraire et assistante sociale. C'est celle de mes sœurs qui a le plus voyagé car elle faisait partie d'une société religieuse très moderne, bien que fondée à la Révolution française, les Filles du Cœur de Marie. Elle fut appelée à fonder ou à diriger des écoles au Congo, en Espagne, au Japon et au Chili.
Quant à mes frères et moi-même, dès la 9è, nous entrions au Collège Saint-Servais chez les Pères Jésuites. Parcours sans histoire, pourrais-je dire. Nous avions horreur d'être collés et nous nous arrangions pour ne pas l'être, étudiant suffisamment pour réussir sans difficultés. Mon père s'était dérangé à de rares occasions pour rencontrer nos professeurs. Une fois cependant, il décida d'intervenir. Nous venions d'entrer en 6e latine - l'équivalent de la première aujourd'hui - et le Père O'Kelly, notre titulaire, nous remettait une carte bleue chaque quinzaine, c'est-à-dire une cote à peine suffisante pour les devoirs. Mon père n'aimait pas cela. Il s'en fut, à notre insu, rencontrer le Père qui lui donna la raison de sa sévérité : «Ces jumeaux copient leurs devoirs l'un sur l'autre. » « Erreur, dit mon père, ils ne copient pas mais ils travaillent ensemble. » Il se trouvait qu'étant de vrais jumeaux, nous avions des intelligences qui se développaient de la même façon. «Vous verrez, dit mon père, attendez les examens. » Et en effet, quand les résultats d'examens arrivèrent, le professeur dut bien convenir que ceux-ci étaient presque identiques, alors qu'il nous avait placés loin l'un de l'autre. À dater de ce jour, il fut convaincu et modifia son appréciation.
Ninane.
On ne voyage pas quand on a une famille nombreuse, mais par contre on recherche le grand air. Mes parents, dès l'achat de leur propriété à Ninane (à 10kms de Liège) en 1924, s'étaient empressés d'agrandir cette jolie gentilhommière en y ajoutant un deuxième étage avec un toit à la Mansart. Cela faisait neuf chambres de plus pour permettre à la déjà nombreuse famille d'y accueillir cousins et cousines, à la faveur de l'été. On s'y rendait le Samedi-Saint, après les offices religieux suivis avec fidélité à la paroisse Saint-Jacques, non loin de l'évêché de Liège. La maison avait le confort d'une vraie propriété de campagne : pas de chauffage central, ni d'eau courante dans les chambres. Mais on acceptait de vivre réunis
souvent au salon où un poêle à bois réchauffait l'atmosphère. Le printemps venait vite et faisait éclater les bourgeons et les fleurs et dès le mois de mai on se mettait au tennis, lieu de rassemblement des amis, le samedi après-midi. On pratiquait d'autres sports: natation au collège, cyclisme et football, et surtout la marche à pied dans de belles promenades aux portes de l'Ardenne. On se recevait entre amis des villages voisins Beaufays, Embourg, Henne...
À la Toussaint, nous rentrions à Liège. Nous habitions une maison au numéro 4 de la rue Rouveroy, maison appartenant au chapitre de la cathédrale. Quand la famille s'agrandira, mon père louera la maison voisine, le numéro 2, pour pouvoir communiquer par le deuxième étage et augmenter ainsi le nombre des chambres à coucher.
Acolyte.
Je faisais partie alors des acolytes de la paroisse et même d'un petit groupe choral pour chanter dans les grandes circonstances. J'ai souvenance d'avoir chanté à la Chandeleur, le 2 février, le cantique grégorien Lumen ad revelationem gentium, la lumière portée aux nations.
Les couvents ne manquaient pas dans notre quartier proche du séminaire. Des chanoines, des vicaires généraux y célébraient la messe tôt matin, dès 6 h 30 ou 7 h. Aussi, avec mon frère jumeau, étions-nous souvent mis à contribution pour servir la messe de ces aumôniers d'occasion. Dès l'âge de douze ans, cette pratique devint régulière et contribua à faire de moi un lève-tôt.
Nous avions deux vicaires dans la paroisse. Le plus âgé, l'abbé Rixhon, s'occupait des servants de messe. Il nous réunissait toutes les semaines et tenait avec nous un petit cercle liturgique, popularisé parles Bénédictins et leur « missel et vespéral », le dernier cri en matière de livre de prières. Il contenait tous les textes des offices religieux de l'année. Nous étions heureux et fiers de recevoir ce missel à l'occasion de la communion solennelle et nous ne manquions pas de nous en servir quand nous allions à l'église. Ma mère, dans sa jeunesse, avait décoré un joli dressoir à quatre planches. C'était l'étagère de rangement des missels, toujours proche du portemanteau dans le hall d'entrée.
Piété familiale.
Outre la messe quotidienne, nous étions aussi fidèles à la prière du soir en famille. Elle se faisait à genoux dans la salle de séjour, juste après le repas du soir, que nous avons toujours appelé souper.
Mon père dirigeait la prière récitée, toujours la même, et donnait le coup d'envoi : « Mettons-nous en la présence de Dieu... » et nous continuions. La prière comportait un examen de conscience, courte pause silencieuse, qui devait permettre une analyse des péchés de la journée. Il ne durait jamais longtemps et j'ai peu le souvenir d'y avoir fouillé mes journées pour me rappeler mes péchés.
Les fêtes religieuses, comme les dimanches, étaient l'occasion de réjouissances ou de promenades. Toute la famille revêtait des vêtements de fête, dits du dimanche. Papa aimait emmener avec lui ses enfants et faire avec eux ce qu'il appelait « le tour des ponts », une promenade qui devait prendre deux petites heures.
Il arrivait aussi qu'un lundi de Pâques ou de Pentecôte, la famille élargie, c'est-à-dire augmentée d'oncles et de tantes et de leurs enfants, organise un pique-nique en Ardenne ou bien encore un pèlerinage. Celui de Chèvremont, où l'on vénérait une petite Vierge miraculeuse au sommet d'une colline, avait leur préférence. D'ailleurs le caveau de famille des grands-parents Hanquet-de Coune occupait une place éminente dans le cimetière au pied de la colline.
En 1931, on sortait de la grande crise économique de 1929, mes parents fêtaient leurs noces d'argent et décidèrent de nous emmener tous en pèlerinage à Lourdes. Action de grâce collective à laquelle se joignirent des cousins et amis pour compléter le wagon spécial réservé par les soins de mon frère aîné. Notre pèlerinage s'intégra au pèlerinage belge du mois d'août. C'était notre premier voyage familial hors frontières. Cela nous valut une audience particulière avec l'évêque de Lourdes, Mgr Gerlier, qui devint plus tard primat des Gaules et archevêque de Lyon. La photo souvenir fut réalisée au pied de l'autel extérieur dans l'enceinte réservée à la dévotion à Marie.
Le scoutisme.
Quand j'étais enfant, le scoutisme faisait son apparition dans les villes de province, pas encore dans les collèges. Je dois au Père Attout, bénédictin de Maredsous, fondateur des Lonescouts, d'avoir été éveillé et formé aux valeurs scoutes dès l'âge de 13 ans. Dès le premier camp, j'ai été touché par le virus scout. Mais il me fallut cependant attendre encore un an pour que je prenne la troupe au sérieux. « C'est qu'on était si heureux en famille ! » Mais le chef de troupe, Pierre-Alex Franck tint bon et me fit remarquer que si je n'étais pas régulier et assidu aux réunions, ce n'était pas nécessaire que je continue et que je n'arriverais à rien. Je crois qu'il piqua mon amour-propre et me fit toucher du doigt, sans que je m'en aperçoive, une valeur qui est bien ancrée en moi depuis lors, la fidélité.
Je fus conquis et je crois que je ne ratai plus une réunion à partir de ce jour. Plus tard, je devins chef de patrouille des Sangliers. J'assumais ainsi une des plus belles tâches qu'on puisse confier à un jeune de quinze ans, la responsabilité de sept garçons, à peine plus jeunes que lui. École de générosité et de dévouement, d'énergie et de dépassement de soi, de sourire et de joie, de fraternité et de sens de l'autre, d'aventure et de découverte. On ne dira jamais assez de bien de cette méthode pédagogique lancée par Baden Powell et qui donne encore de si bons fruits quatre-vingts ans plus tard.
Sautons deux années. Je suis étudiant en droit à l'Université de Liège. Notre aumônier de clan, où je suis aspirant-routier, me sollicite pour venir l'aider. Il a fondé une troupe scoute à l'athénée de Liège. Elle fait ses premiers camps et a du mal à démarrer car elle manque de cadres formés. L'abbé de la Croix, Dragon pour les scouts, me demande de venir l'aider comme assistant. Il y a déjà un chef de troupe, Honoré Struys, généreux garçon un peu plus vieux que moi, d'origine flamande, mais qui ne connaît rien à la méthode. J'ai la candeur de croire que je la connais car je viens de terminer un camp-école de quinze jours à Saint-Fontaine en Condroz et je suis sur le point d'obtenir le Wood-Badge, qui est le brevet officiel des bons chefs.
Mais il faut m'introduire dans ce milieu des élèves de l'athénée, un monde que je dois découvrir. Il faut remarquer qu'à cette époque les clivages entre enseignements officiel et catholique sont très nets et ma famille passe pour être à Liège ferme défenseur de l'enseignement libre.
Dragon m'encourage à découvrir ce nouveau milieu scolaire, moins bourgeois que le mien - celui des Jésuites du Collège Saint-Servais à Liège. Il me pousse à la découverte et à l'adaptation. «Va rendre visite aux parents des nouvelles recrues », me dit-il. J'obtempère et je commence ces visites que j'ai continué à faire toute ma vie, mais pour d'autres motifs...
« Apprenez à mon fils à se démerder », me dit un papa dans son langage assez direct. Je n'oublierai jamais cette consigne. Mais je mettrai quelques mois à comprendre que mes allures B.C.B.G. ne conviennent pas à ces jeunes scouts qui ont tôt fait de m'appeler « l'assistant gants de peau» que je porte un peu trop ostensiblement. Ils me rabotèrent, ces jeunes garçons, et je conquis lentement leur amitié et leur cœur.
Nous avions pris l'habitude d'inviter à nos camps trois jeunes Chinois, aux études en Belgique. Il y avait André Shih, étudiant à Malonne et les frères Liao venant d'un autre collège. Ces collégiens nous parlaient de leur pays et de leurs coutumes. Ils nous apprenaient à manger avec des baguettes et nous expliquaient les caractères chinois en écrivant notre nom sur nos bâtonnets, fabriqués sur place.
L'année suivante, l'hiver approche et je suis devenu chef de troupe car l'ancien « Master » est entré au séminaire. Nous faisons des projets d'activités pour Noël. Dragon, qui est conscient de ses responsabilités d'aumônier, a fort envie de prêcher une retraite à ses scouts. Mais où et comment? L'idée est intéressante mais nos moyens matériels sont très limités. Si on trouvait une maison de campagne dans les environs de Liège, cela pourrait faire l'affaire. Je pense à celle de mes parents, toujours accueillants et généreux, et je me risque à leur demander l'autorisation d'utiliser la plupart des chambres de cette grande maison familiale qui a pour tout chauffage deux poêles à bois dans les pièces du rez-de-chaussée. Mes parents semblent apprécier l'idée et je me porte garant de la bonne tenue des scouts et de leur propreté.
Nous arrivons donc à une vingtaine à Ninane quelques jours avant Noël. J'avais un peu sous-estimé l'ampleur du travail car, tandis que Dragon se rendait trois à quatre fois par jour à l'église pour leur faire ses instructions, je devais, tout en suivant la retraite, prévoir l'intendance et préparer les repas. Ce n'était pas une mince affaire. Il me fallait aussi veiller à la propreté des lieux. J'y tenais beaucoup et les scouts s'y conformaient.
La grâce de l'appel.
C'est dans ce temps de vie active et généreuse que le Seigneur me fit la grâce de son appel. Je me souviens bien du lieu et du moment. J'étais en prière près du banc de communion dans l'église. C'est là que la question jaillit dans mon cœur, posée par Jésus : « Et toi, si tu me donnais tout ton temps, toute ta vie, à mon service ? » Inutile de dire que je m'empressai de chasser cette interpellation, trop troublante pour mes projets d'avenir (je projetais alors de me lancer dans les affaires familiales). Mais la question me revint en mémoire. Il était honnête d'y répondre et de prendre conseil.
Je m'en ouvris à l'aumônier qui me conseilla de prier et de demander à l'Esprit-Saint de m'éclairer. Les semaines passèrent et je mûris lentement ma décision d'aller au séminaire et de devenir prêtre au service de Dieu et des hommes. La vie était belle et elle serait encore plus belle si je la vivais entièrement dans cette voie.
Restait à choisir le séminaire et le champ d'apostolat. Dragon, bien que vicaire à Saint-Jacques à Liège, faisait partie d'une toute jeune société missionnaire, la Société des Auxiliaires des Missions, la SAM, fondée six ans plus tôt pour venir en aide aux premiers évêques chinois. Nous tenions nos réunions scoutes dans le grenier de la maison occupée par Dragon. Plusieurs étudiants chinois venaient y consulter des journaux et revues dans la salle du rez-de-chaussée, à côté du bureau de l'abbé. Celui-ci, grand apôtre, avait un style très particulier, un peu bohème, mais très direct et accueillant qui plaisait aux jeunes. Je le rencontrais souvent pour préparer des réunions ou des activités scoutes. C'est avec lui que je mûris mon choix et que je décidai de demander mon admission au séminaire de la SAM à Louvain. Je n'en parlai à personne, sauf à Dragon qui me conseilla d'attendre la fin des examens universitaires de deuxième candidature en droit. C'est alors seulement que j'en parlai à mes parents et que je pus annoncer officiellement ma décision à la fin d'un camp scout [1] mémorable sur les bords de la Helle dans la région d'Eupen.
[1] (Le scoutisme, lieu d'éclosion de ma vocation, me poursuivra encore, puisqu'après la XXè Liège, et la troupe de l'Athénée de Liège, j'animerai une autre troupe à Gembloux durant le temps de mes études au séminaire, avant de vivre une expérience du même genre avec les jeunes du camp de concentration de Weihsien (Voir infra Des scouts clandestins). En fait, ce n'est que cinquante-cinq ans plus tard que j'abandonnerai le service, après trente-cinq ans de travail avec les Lonescouts.)
C'est au séminaire de la SAM, situé au Kareelveld, en face de l'abbaye du Mont-César et à l'extérieur des anciennes murailles de Louvain, que j'entrai à la fin du mois de septembre 1934. On parlait beaucoup du Père Lebbe. Il avait lancé l'idée de cette fondation en 1926 à la demande des six premiers évêques chinois. Une poignée de jeunes Verviétois avait répondu à son appel et se laissaient former par un ancien vicaire de Verviers, l'abbé André Boland. C'est lui qui nous apprit à connaître le Père Lebbe en nous faisant lire tous les dossiers qu'il avait accumulés à son sujet.
Ce séminaire revêtait un cachet particulier du fait que nous n'étions pas plus d'une vingtaine de séminaristes et que l'abbé Boland y pratiquait le système de confiance. Il voulait construire notre personnalité et nous laissait prendre nos propres décisions, mais désirait qu'on en parle avec lui par après. Il avait porte ouverte chaque soir après la prière et, tout en prenant une tasse de thé de Chine, nous guidait dans nos conversations nocturnes. Quatre années de séminaire, c'est court, et pourtant ce fut jugé suffisant par mes supérieurs pour me former au sacerdoce et à la vie future de missionnaire. Ordonné prêtre le 6 février 1938, je partis pour la Chine la même année à la fin du mois de novembre.